Texte sur la muse de « Der Anspruch der Dinge » – « L’exigence des choses » :
Comparable à la notoriété de la chambre funéraire de Toutankhamon, il y eut également au 18e siècle une découverte sensationnelle énigmatique. En 1729, lors de fouilles dans la villa romaine des Julii Aspri sur la Via Latia, à une heure de cheval du centre de Rome vers le sud, on découvre successivement cinq statues antiques. Toutes plus belles les unes que les autres. Tout le monde le reconnaît, bien qu’elles soient en mauvais état, avec des têtes et des bras manquants. C’est surtout un torse appuyé sur un rocher, nonchalant mais élégant, qui émeut les esprits. C’est un cardinal qui a ordonné les fouilles, Melchior de Polignac, archevêque d’Auch en Gascogne, docteur en théologie et ambassadeur à Rome. Le pape Benoît XIII lui a confié la diaconie de Santa Maria in Portico, une église située dans les ruines des thermes de Dioclétien. Des manteaux artistiquement plissés enveloppent les figures antiques, ici, il ne voit rien qui puisse choquer. L’une des beautés sans tête présente toutefois un renflement irritant à l’entrejambe dans sa robe délicatement flottante. Ce n’est pas pour rien que le cardinal est membre de l’Académie française, mécène et promoteur d’art. On discute pendant quatre ou cinq ans de l’interprétation et on opte pour une star de l’Antiquité : Achille. Plusieurs poètes de la mythologie grecque racontent que le plus célèbre des héros de guerre a préféré laisser passer la guerre de Troie, ou que sa famille ne voulait pas le laisser partir… Quoi qu’il en soit, il est parti chez le père de sa fiancée, Déidamie, pour ne pas être recruté par Ulysse. Lorsque ce dernier arriva, on mit le jeune homme, sans doute encore fragile à l’époque, dans une robe et on le mêla à ses belles-sœurs, les filles de Lycomède. Ulysse, le rusé, fit installer des accessoires de mode et présenta à côté les derniers modèles d’armes. Achille ne pouvait pas se contrôler et fut démasqué, célèbre et tomba devant Troie.
Cette histoire expliquait bien le délicat méfait enfoui. Lambert Sigisbert Adam était justement le talent le plus connu sur place, un boursier sculpteur qui recevait des commandes du cardinal. Or, on ne reconstruit pas, bien que les modèles antiques soient suffisamment disponibles à Rome. Pour une meilleure diffusion du mème et pour la gloire du cardinal, le chiton de cette « autra fille de Lycoméde » est à la mode : des manches bouffantes. Lambert Sigisbert crée la vue la plus impressionnante en tant qu’exposition, de sorte que la tête regarde l’épaule droite. Avec un chignon et un diadème, tout à fait baroque. La « Deidamea » est désormais considérée comme une œuvre grecque de premier ordre et part pour Paris avec Melchior de Polignac. Après la mort du cardinal, sa collection est mise sur le marché, plus de 300 antiquités sont acquises par le jeune roi de Prusse Frédéric, qui n’était à l’époque pas encore le « Grand » et encore moins le « Vieux Fritz ». Il vient de gagner la première guerre de Silésie, il construit et philosophe.
Il construit même son propre temple antique pour ces sculptures et on en trouve bientôt plusieurs copies dans ses parcs. Voltaire lui consacre des vers flatteurs[2] :
Tous ces bustes fameux semblent déjà vous dire:
Que faisons-nous à Rome, au milieu des débris
et des Beaux-Arts, et de l’empire,…
Ah! loin des monsignors tremblants dans l’Italie
restons dans ce palais, le temple du Génie
chez un roi vraiment, fixons-nous aujourd’hui ;
Rome n’est que la sqinte et l’autre est avec lui.
Voltaire, 2 octobre 1742
Tout le monde n’aura pas commenté aussi gentiment le départ de Paris des beautés célèbres. Napoléon Bonaparte les « récupère » plus tard comme butin de guerre. Pièces de parade du « Musée Napoléon », elles sont encore plus souvent copiées et dessinées, il existe une édition en porcelaine de Sèvre. Puis les sculptures repartent en Prusse et Napoléon à Sainte-Hélène. A Berlin, après les guerres de libération, on ne veut plus voir l’art en exclusivité chez le roi, mais l’exposer au public. Karl Friedrich Schinkel conçoit l’actuel « Alte Museum » sur l’île des musées de Berlin. Et une fois de plus, la « Figure révoltée » inspire des débats de plusieurs années. Elle est désormais reconnue comme la muse Polyhymnia avec Apollon en habit de chanteur, car le motif avait déjà été souvent copié et cité dans la Rome antique. Philisque de Rhodes est considéré comme le véritable créateur, dont les originaux datent d’environ 140 avant Jésus-Christ. Les ajouts baroques français étaient en tout cas faux, – et démodés.